mardi 4 décembre 2012

Le mathématicien (ne) peut (pas) se passer du physicien (pour intégrer le réel parmi les imaginaires possibles)

Clin d'oeil à un billet écrit sur un blog compagnon ...
La réflexion du titre est inspirée par une citation d'Alain Connes extraite d'un film projeté lors de l'exposition : MATHEMATIQUES un dépaysement soudain à la fondation Cartier , Paris 2011


" ... le réel physique n'est rien d'autre que la superposition de possibles imaginaires ..." 

Réplique à un billet écrit dans ce blog ci :
Et si les physiciens avaient commencé à forger les bons outils pour attaquer la correspondance de Langlands ... avant les mathématiciens? Voici en tout cas un extrait d'un texte de Daniel Bennequin qui alimente le débat:



mercredi 29 août 2012

L'amateur est derrière l'écran et l'enchanteur devant, ou l'inverse ...

Un bilan personnel de l'été 2012
En lisant les billets écrits jusqu'à présent sur ce blog ci, ou sur l'ébauche de celui-là et plus sûrement encore sur ce dernier, on aura compris que je suis un simple amateur de (l'application de la) géométrie non-commutative (à la physique). Un amateur, comme on l'est de musique ou de mathématiques sans nécessairement être musicien ou mathématicien professionnel mais quand même physicien de formation; un amateur donc, qui se pique de suivre l'actualité savante parce qu'elle est maintenant accessible au plus grand nombre et qui prend plaisir à diffuser à tous la joie de la découverte rapportée par les plus grands, que ce soit récemment dans ce blog en anglais pour Alain Connes ou dans celui-ci (en français) pour Cédric Villani.

Comme un enfant sur les épaules d'un ou deux géants
"Petit" j'ai été plongé par une délicieuse fée radiophonique dans un bain d'idées étonnantes qui ont été semées par le vent de la physique avant d'être récoltées dans le champ des mathématiques. L'histoire de la théorie des cordes est duale de celle de la géométrie non-commutative de mon point de vue. Ici au Collège de France c'est un mathématicien (A. Connes), là-bas à Princeton c'est un physicien (E. Witten) qui ont accompli, chacun à sa manière, une partie du travail. Le hasard de la géographie m'a permis de suivre quelques cours du premier, malheureusement jamais du second. Je connais donc encore moins bien une théorie que l'autre, mais cet été a distillé en moi suffisamment de confiance pour osez monter sur les épaules de ces deux géants et explorer avec eux de nouveaux espaces!

Voici pour finir une vidéo de chacun de ces géants

  • celle du mathématicien Alain Connes qui (ré)enchante à chaque fois le physicien qui vibre en moi par sa puissance évocatrice et sa spontanéité :



  • celle du physicien théoricien Edward Witten toujours fascinant par la clarté de ses exposés et le soin extrême qu'il apporte à son expression orale :




samedi 25 août 2012

Essai de platonisme absolu (ou naïf) : et si les mathématiciens avaient trouvé le Higgs avant les physiciens ?


Tout commence avec une démonstration du Lemme fondamental et l'évocation de mystérieuses fibrations de Hitchin qui auraient des liens avec la physique mathématique d'après cet article du site Images des mathématiques.
L'investigation se poursuit avec la lecture d'un premier article de celui qui a prouvé le Lemme fondamental Ngô Bao Châu puis d'un second plus récent qui trace la route ouverte par la démonstration précédente (le programme de Langlands). Dans une référence bibliographique on découvre l'expression Higgs bundles soit fibrés de Higgs !
On passe à l'article fondateur (en anglais) de Hitchin et là surprise le vocabulaire change : on y parle d'équations de Yang Mills, de solutions physiques de types instanton et monopole magnétique puis de champ de Higgs ! Les perspectives ont bougé, le physicien semble retrouver un paysage familier. 
Mais alors la question cruciale maintenant est : le champ(s) de Higgs de la physique est-il identique à l'objet mathématique inventé par Hitchin ?
Après moult recherches on découvre sans y croire tant notre question était naïve à nos yeux que quelqu'un d'autre se l'est posée aussi et nous en parle, c'est Edouard Witten en personne dans cet article dont voici l'extrait qui nous a décidé à écrire ce billet :


MIRROR SYMMETRY, HITCHIN’S EQUATIONS, AND LANGLANDS DUALITY

...
Remark 2.1. As an aside, one may ask how closely related φ, known in the present context as the Higgs field, is to the Higgs fields of particle physics. Thus, to what extent is the terminology that was introduced in Hitchin (1987a) actually justified? The main difference is that Higgs fields in particle physics are scalar fields, while φ is a one-form on C (valued in each case in some representation of the gauge group). However, although Hitchin’s equations were first written down and studied directly, they can be obtained from N = 4 supersymmetric gauge theory via a sort of twisting procedure (similar to the procedure that leads from N = 2 supersymmetric gauge theory to Donaldson theory). In this twisting procedure, some of the Higgs-like scalar fields of N = 4 super Yang-Mills theory are indeed converted into the Higgs field that enters in Hitchin’s equations. This gives a reasonable justification for the terminology.

Hitchin, N. J. (1987a), ‘The Self-Duality Equations On A Riemann Surface’, Proc. London Math. Society (3) 55, 67.

Pour finir, rien de mieux que célébrer avec Michael Atiyah, Robbert Dijkgraaf et Hitchin les étonnantes interactions de la Géométrie et de la Physique qui ont lieu aujourd'hui sous nos yeux.

samedi 16 juin 2012

Sur les traces du premier spectre ...

Si l'on en croit cette conférence de Jean Mawhin éminent mathématicien belge spécialiste d'analyse, la première trace écrite du terme "spectre" apparaît dans une lettre d'Isaac Newton datée de 1672. Le célèbre physicien et mathématicien anglais, père de la science moderne, y décrit son questionnement à propos d'une expérience d'optique (déjà classique à son époque) où la tache circulaire et uniformément blanche d'un rayon de soleil projeté sur un mur se trouve soudainement étalée en un pinceau lumineux aux couleurs de l'arc en ciel lorsqu'on interpose un prisme de verre sur le trajet de la lumière. Voici dans cet extrait d'un texte en anglais ce qu'affirme précisément Mawhin :



D'après le même auteur (et l'information est confirmée ailleurs) la première occurrence du terme dans un contexte mathématique apparaît chez l'autrichien Wilhelm Wirtinger en 1897 à propos d'un travail sur l'équation différentielle dite de Hill. Le mot spectre acquerra au début du XX siècle une place de choix dans le corpus mathématique avec David Hilbert, fondateur de la théorie spectrale des opérateurs. C'est au travail d'historien du mathématicien français Jean Dieudonné qu'on doit cette information semble-t-il :



//ajout du 03/12/19
Voici le lien vers la lettre manuscrite de Newton dans laquelle apparaît pour la première fois le terme "spectrum" dans son acception physique :


  Comparing the length of this coloured Spectrum with its breadth, I found it about five times greater; a disproportion so extravagant, that it excited me to a more then ordinary curiosity of examining, from whence it might proceed. I could scarce think, that the various Thickness of the glass, or the termination with shadow or darkness, could have any Influence on light to produce such an effect; yet I thought it not amiss, first to examine those circumstances, and so tryed, what would happen by transmitting light through parts of the glass of divers thicknesses, or through holes in the window of divers bignesses, or by setting the Prisme without so, that the light might pass through it, and be refracted before it was terminated by the hole: But I found none of those circumstances material. The fashion of the colours was in all these cases the same.

transcription of A Letter of Mr. Isaac Newton, Professor of the Mathematicks in the University of Cambridge; containing his New Theory about Light and Colors: sent by the Author to the Publisher from Cambridge, Febr. 6. 1671727172; in order to be communicated to the R. Society.
 


Et voilà le lien vers l'article original de Wilhelm Wirtinger sensé être le premier où figure l'emploi du terme spectre ("Bandenspectrum" pour être plus précis me semble-t-il) en mathématique.



vendredi 27 avril 2012

Des diaboliques diagrammes de Feynman aux angéliques dessins d'enfants de Grothendieck ...


... Est-ce le cœur de la physique qui résonne dans le cœur des mathématiques
ou le cœur des mathématiques qui se révèle au cœur de la physique ?

Pour se faire une idée de la pertinence de cette question je propose de suivre la direction évoquée dans le titre de ce billet et de tracer ci-dessous un parcours de lecture possible dans le jardin des mathématiques à la physicienne qui se dessine peu à peu au fil de ce blog :
  • un point d'entrée idéal dans ce "jardin merveilleux" pourrait être ce chapitre du cours informel d'Yves André sur les mathématiques contemporaines s'adressant à des musiciens lors d'un séminaire mamuphi (une version ultérieure, un peu plus formelle car destiné à des professeurs de mathématiques, se trouve ici). On y découvre dans le dernier paragraphe que le lien mystérieux entre diagrammes et dessins est une structure fondamentale appelée groupe de Galois cosmique ou absolu ... selon que son cœur penche pour la physique ou les mathématiques pourrait-on presque dire. Pour reprendre les mots d'André on peut dire que le groupe de Galois absolu code les propriétés de toutes les équations algébriques à coefficients rationnels à la fois et que Grothendieck a proposé de décrire ce groupe au moyen de notions graphiques « si simples qu’un enfant peut les connaître en jouant »; quant-au groupe de Galois cosmique c'est un groupe de symétrie qui porte sur les constantes fondamentales de toutes les théories quantiques des champs renormalisables. C'est-à-dire des théories dont on peut extraire systématiquement "du (dé)fini à partir de l'in(dé)fini" grâce à des règles combinatoires sur des graphes (les fameux diagrammes qui codent les intégrales divergentes de Feynman),
  • afin de gouter les plaisirs simples de la géométrie en image et se faire une idée plus concrète de la théorie des dessins d'enfants  il ne faut pas rater cette introduction très claire d'Alexander Zvonkin,
  • pour découvrir de manière élémentaire les diagrammes de Feynman qui sont les icônes de la physique théorique du XXème siècle, il faut profiter de ce travail collaboratif exemplaire (en anglais) de blogueurs physiciens des particules et grands utilisateurs de cet outil complexe,
  • mais si l'on veut vraiment rentrer dans le cœur du problème on doit oser se plonger dans un article de synthèse fondateur (en anglais) d'Alain Connes et Mathilde Marcolli qui présente rigoureusement le lien entre les calculs d'intégrales de Feynman et la théorie des motifs de Grothendieck. Le texte est d'une extraordinaire technicité mais au moins l'introduction brosse un panorama très vaste du champ des possibles pour le chercheur ou le passionné du lien entre physique et théorie des nombres, 
  • pour connaître plus intimement quelques acteurs actuels de ce sujet de recherche il faut consulter un vrai blog de mathématiques à l'état de l'art et en particulier ce billet et son commentaire (on découvrira au passage ce qui a partiellement "motivé" ce billet ci),
  • il reste à expliciter ce qui se cache derrière les qualificatifs angéliques et diaboliques choisis dans le titre. C'est une référence à la Figure et au Nombre, autrement dit "Zahlen und Figuren", titre d'un  texte de réflexion (en anglais) de Yuri Manin qui évoque l'ange de la géométrie et le diable de l'algèbre cher au grand mathématicien allemand Hermann Weyl.
Pour en savoir un peu plus sur la figure hors norme de Grothendieck, il est intéressant de lire le témoignage de deux mathématiciens de générations différentes qui l'ont bien connu :
  • celui de Pierre Cartier qui est en passant le mathématicien qui a conjecturé l'existence du groupe de Galois cosmique dans cette conférence,
  • celui de Luc Illusie, au ton plus personnel et émouvant, présente en particulier l'intérêt de contenir la citation suivante: " He [Grothendieck] had also started thinking about other topics: physics (he told me he had been reading books by Feynman), biology ...". C'est à ma connaissance la connexion la plus littérale qu'on puisse faire entre ces deux géants aux biographies si différentes.
Bon cheminement ...






"Un électron est plus difficile à appréhender que la diagonale d'un carré"

Cette citation est tirée de la page 196 du beau livre du mathématicien français Gilles Godefroy intitulé "L'aventure des nombres" (édition Odile Jacob). Elle concluait un paragraphe intitulé Les infinitésimaux de Connes dans lequel il présentait un aspect du formalisme mathématique développé par Alain Connes dans le cadre de sa géométrie non-commutative. Le texte part du théorème de Pythagore de la géométrie du plan et de la règle de Leibniz du calcul différentiel cher à la mécanique classique pour arriver d'une part à une généralisation non-commutative de la dite règle et d'autre part aux espaces de Hilbert de dimension infinie si utiles à la description de la mécanique quantique. Or cette mécanique quantique est née du dépassement de la mécanique classique incapable de décrire la dynamique de l'électron dans le noyau atomique.

Dans un passage précédent du même livre (p35) il évoque la découverte attribuée justement à un pythagoricien  de l'antiquité grecque (mais sans qu'on ait de trace écrite précise) que la diagonale d'un carré n'est pas commensurable avec son côté, soit en langage moderne que racine de 2 n'est pas un nombre rationnel. Rappelons que les mathématiciens de l'époque n'associaient pas un nombre à une longueur comme on le fait spontanément aujourd'hui mais plutôt au rapport de deux longueurs.

Pour résumer : le théorème de Pythagore aboutit à la découverte des nombres irrationnels alors que la découverte de l'atome aboutit à celle des nombres infinitésimaux de Connes. Les premiers font maintenant partie des nombres qualifiés de réels standards et servent depuis la révolution scientifique initiée par Galilée à modéliser le résultat des mesures des grandeurs physiques. Par contre les seconds ont une "visibilité" beaucoup plus faible  car d'emploi beaucoup plus formel mais néanmoins calculatoire (en cela leur auteur souligne souvent qu'ils ne doivent pas être confondus avec les réels non standards ... le débat est ici très technique : on peut en avoir une idée à travers ce billet de Connes ou celui-ci de Terence Tao)

Récemment il semble qu'une nouvelle avancée de Connes (qui est lui même naturellement passionné par le lien entre physique et théorie des nombres, on en reparlera)  puisse prolonger cette fascinante aventure ... des nombres ! Il conjecture l'existence d'une extension du corps des nombres réels à une nouvelle structure qu'ils baptise R_un et dont il voit une des incarnations possibles dans les resommations de séries perturbatives en théorie quantique des champs.
Voici en anglais des extraits de l'article en question :
... our construction gives the inverse process of the “dequantization”
and provides a first hint towards an extension R_un of the field of real numbers
relevant both in number theory and quantum physics ...
In conclusion we conjecture that the extension R_un of R is the natural home for the “values” of the many ~-dependent physical quantities arising in quantum field theory. This fits with the previous understanding of renormalization from the Riemann-Hilbert correspondence.
Bref, l'homme n'a pas fini de (re)penser les nombres !

Note personnelle : peut-être pourrait-on  appeler de tels nombres les hyperfinis (plutôt que un_finis ...)? En effet le 1 de R_un est lié à la construction de Witt en caractéristique 1 dont il est question dans l'article et n'a de sens à la lumière des recherches de Connes que dans une structure mathématique appelée hypercorps de Krasner semble-t-il (voir ce texte en anglais ou ce résumé en français).
Le terme hyperfini présente aussi l'intérêt d'être employé dans d'autres aspects connexes très importants de la géométrie non-commutative.
Il fait aussi ressortir la tension entre le caractère fini du résultat d'un calcul effectif de série formelle d'intégrales divergentes et son développement calculatoire extrêmement complexe. Rappelons pour finir que ce genre de calculs fut d'abord mené à bien par d'intrépides physiciens théoriciens et que les valeurs numériques approchées furent comparés scrupuleusement aux mesures de physiciens expérimentateurs courageux ... l'accord entre théorie et expérience étant le plus remarquable dans le cas de l'électrodynamique quantique justement !


mardi 24 avril 2012

La dualité réel-virtuel ou "le paradoxe du physicien"

 " ... ce dernier, qui se garde bien d'inventer le monde a priori, pense ne s'occuper que des faits réels ; or l'évolution réelle d'un système matériel, si complexe soit-il, n'est représentée que par un seul point x de ... [l'espace des mouvements] ; les autres points n'ont donc qu'une existence virtuelle ; et c'est pourtant en structurant l'ensemble de ces virtualités [note du blogueur : l'espace des mouvements a une structure de variété symplectique] que le physicien peut, dans une certaine mesure, expliquer et prévoir le réel.
... il nous semble préférable de "résoudre" le paradoxe en établissant une dialectique du réel et du virtuel ; ce qui est possible grâce à la théorie des groupes. 
Il est clair que les lois de la physique se découvrent en comparant des observations ou des expériences, ce qui permet de traiter divers aspects partiels du réel comme des virtualités différentes ; or deux expériences distinctes occupent nécessairement deux régions différentes de l'espace-temps ; on ne peut donc les comparer qu'en les mettant en correspondance ; ...
On présume que ces correspondances conservent la structure du virtuel - faute de quoi la comparaison des expériences resterait stérile ; c'est pourquoi notre connaissance scientifique de la nature procède nécessairement d'un appel, explicite ou implicite, à un ensemble d'isomorphismes du virtuel ; ces isomorphismes constituent généralement un groupe ...
Jean Marie Souriau
extrait de "Structure des systèmes dynamiques" p XXI-XXII

On trouvera sur cet excellent site de vulgarisation quelques mots sur ce mathématicien récemment disparu.

Voici enfin un texte "La géométrie des mouvements" tiré d'une intervention de Patrick Iglesias-Zemmour à l'IHES en 2010 dans le cadre du colloque "La reconquête de la dynamique par la géométrie après Lagrange". Outre qu'il y discute d'un thème sur lequel on reviendra dans ce blog : le renouvellement des catégories d'Espace et de Temps, il évoque aussi la contribution moderne de Souriau à l'élaboration d'un nouveau cadre formel permettant de traiter les symétries de la dynamique.


lundi 16 avril 2012

V. Arnold, A. Connes et R. Omnès : trois points de vue sur les mathématiques et la physique

Ne quittons pas tout de suite le ton iconoclaste du précédent billet et commençons  cette présentation de trois points de vue contrastés avec celui du mathématicien russe francophone Vladimir Arnold, ancien professeur à l'université Paris-Dauphine tiré de la Gazette de la société mathématiques de France :
" Les mathématiques font partie de la physique. La physique est une science expérimentale, une des sciences naturelles. Les mathématiques, ce sont la partie de la physique où les expériences ne coûtent pas
cher. " 
Cette affirmation fut prononcée lors d'une conférence sur l'enseignement des mathématiques au palais de la découverte le 7 mars 1997. Il faut la lire pour goûter le plaisir du déploiement du tempérament russe dans la littérature ... mathématique. Arnold est considéré comme l'un des plus grands mathématiciens russes du XXème siècle. Il a notamment considérablement enrichi la compréhension fine de la mécanique classique (théorème KAM en théorie du chaos déterminisme par exemple). 

Le second point de vue, antithétique, est celui d'Alain Connes, mathématicien français, professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire "Analyse et Géométrie" :
" Je suis prêt à parier qu'on s'apercevra un jour que la réalité matérielle se situe en fait à l'intérieur de la réalité mathématique... Je crois qu'un des critères d'une vraie compréhension du monde physique extérieur, c'est notre capacité de comprendre sa position à l'intérieur du monde mathématique. On en est loin encore. Mais les indices abondent. Ainsi le tableau périodique des éléments. Il a été déduit par Mendeleïev à partir des résultats expérimentaux de la chimie, mais quand on comprend qu'il résulte en fait de mathématiques extrêmement simples, c'est impressionnant...".
Cet extrait est tiré d'une interview passionnante à lire absolument pour apprécier mieux la subtilité et l'originalité de la vision de Connes : un mathématicien mondialement reconnu pour son développement de la géométrie non commutative inspirée de la mécanique quantique et un orateur très inspirant par sa capacité rare à utiliser des images physiques évocatrices dans ses cours au Collège de France (ceci est un avis personnel).

Pour synthétiser ces deux positions extrêmes (ou pour reconnaître leur caractère irréductible l'une à l'autre) il me semble intéressant de présenter le point de vue d'un physicien théoricien, Roland Omnès, professeur émérite à l'université Paris-Sud qui développe une argumentation dualiste basée sur les concepts de phusis et de logos :
" La physique - sous sa forme actuelle - apporte un éclairage indispensable à la question centrale des mathématiques : quelle est la nature de leur objet ? La réponse à cette question ne peut être alors que celle du platonisme mathématique, c'est à dire l'affirmation de l'existence d'une entité objective et réelle, explorée par les mathématiques et qu'on appelle ici le logos ... La connaissance de la phusis  ne peut provenir que d’une forme d’expérience ... Notons aussi que c'est le quantique qui signale ... la disjonction de nature entre phusis et logos ... qui se laisse voir dans la philosophie traditionnelle comme l’impossibilité de construire la science par pure induction ". 
Extraits du livre "Alors l'un devint deux" p345,349 et 358, édition Flammarion

Moins connu que les deux mathématiciens précédents, le travail de recherche scientifique et de réflexion épistémologique d'Omnès n'en est pas moins reconnu internationalement (http://press.princeton.edu/titles/5525.html, http://rmp.aps.org/abstract/RMP/v64/i2/p339_1). Il a participé au développement de la théorie de la décohérence quantique (formalisme des histoires rationnelles) qui permet de comprendre le passage de la mécanique quantique du monde microscopique à la mécanique classique du monde macroscopique (http://www.edition-sciences.com/comprendre-mecanique-quantique.htm). Voici un lien vers un texte de synthèse en anglais par cet auteur.

mercredi 4 avril 2012

Si les mathématiques n'existaient pas la physique aurait-elle une semaine de retard?

"Absolument, et c'est précisément la semaine pendant laquelle Dieu créa le monde".

Il était impossible de commencer ce blog autrement que par cet échange savoureux entre deux grands scientifiques américains: le physicien Richard Feynman et le mathématicien Marc Kac. 
Ce blog se veut en effet une évocation et une célébration de la richesse et de la fécondité des liens qui unissent les mathématiques et la physique, particulièrement aujourd'hui en ce début de XXIème siècle où des avancées récentes dans les deux champs disciplinaires soulignent leur rapport consubstantiel. 
Feynman et Kac présentent aussi l'intérêt d'illustrer parfaitement à travers leurs recherches scientifiques les deux théories qui seront le plus souvent évoquées ici : je veux parler de la théorie quantique des champs et de la géométrie spectrale.
Enfin pour l'auteur de ce blog la citation du titre résonne aussi comme une madeleine de Proust, celle qui marque les débuts de sa passion pour les deux disciplines; passion exaltée par l'écoute tardive d'une série d'émissions radiophoniques intitulées "les délices des mathématiques" (coproduites par Marc Hindry et Sandra Delaunay, réalisées par Bernard Treton) et diffusées dans le cadre des "nuits magnétiques" de France Culture en 1989. 
Pour conclure ce premier billet précisons que son auteur est un modeste professeur de sciences physiques, docteur de troisième cycle et ancien élève de grande école, qui n'a d'autre légitimité à écrire ce blog que son désir de partager ses lectures et ses expériences d'auditeur de cours, de conférences ou de séminaires scientifiques.

N'ayant pas trouvé de sources écrites faisant référence à la citation du titre et n'ayant pas trouvé non plus malheureusement de trace audio de la dite émission j'en suis réduit à citer cette source internet.
The mathematician Mark Kac was giving a seminar at Caltech to an
audience that included the irrepressible physicist R. P. Feynman.
Feynman loved to take potshots at what he considered the petty
attachments to rigor of mathematicians, and when Kac paused for
breath, Feynman grabbed his chance.
"If mathematics did not exist," Feynman announced " it would set the world back one week."
Without hesitation Kac replied, "Precisely the week in which God created the world."