vendredi 27 avril 2012

"Un électron est plus difficile à appréhender que la diagonale d'un carré"

Cette citation est tirée de la page 196 du beau livre du mathématicien français Gilles Godefroy intitulé "L'aventure des nombres" (édition Odile Jacob). Elle concluait un paragraphe intitulé Les infinitésimaux de Connes dans lequel il présentait un aspect du formalisme mathématique développé par Alain Connes dans le cadre de sa géométrie non-commutative. Le texte part du théorème de Pythagore de la géométrie du plan et de la règle de Leibniz du calcul différentiel cher à la mécanique classique pour arriver d'une part à une généralisation non-commutative de la dite règle et d'autre part aux espaces de Hilbert de dimension infinie si utiles à la description de la mécanique quantique. Or cette mécanique quantique est née du dépassement de la mécanique classique incapable de décrire la dynamique de l'électron dans le noyau atomique.

Dans un passage précédent du même livre (p35) il évoque la découverte attribuée justement à un pythagoricien  de l'antiquité grecque (mais sans qu'on ait de trace écrite précise) que la diagonale d'un carré n'est pas commensurable avec son côté, soit en langage moderne que racine de 2 n'est pas un nombre rationnel. Rappelons que les mathématiciens de l'époque n'associaient pas un nombre à une longueur comme on le fait spontanément aujourd'hui mais plutôt au rapport de deux longueurs.

Pour résumer : le théorème de Pythagore aboutit à la découverte des nombres irrationnels alors que la découverte de l'atome aboutit à celle des nombres infinitésimaux de Connes. Les premiers font maintenant partie des nombres qualifiés de réels standards et servent depuis la révolution scientifique initiée par Galilée à modéliser le résultat des mesures des grandeurs physiques. Par contre les seconds ont une "visibilité" beaucoup plus faible  car d'emploi beaucoup plus formel mais néanmoins calculatoire (en cela leur auteur souligne souvent qu'ils ne doivent pas être confondus avec les réels non standards ... le débat est ici très technique : on peut en avoir une idée à travers ce billet de Connes ou celui-ci de Terence Tao)

Récemment il semble qu'une nouvelle avancée de Connes (qui est lui même naturellement passionné par le lien entre physique et théorie des nombres, on en reparlera)  puisse prolonger cette fascinante aventure ... des nombres ! Il conjecture l'existence d'une extension du corps des nombres réels à une nouvelle structure qu'ils baptise R_un et dont il voit une des incarnations possibles dans les resommations de séries perturbatives en théorie quantique des champs.
Voici en anglais des extraits de l'article en question :
... our construction gives the inverse process of the “dequantization”
and provides a first hint towards an extension R_un of the field of real numbers
relevant both in number theory and quantum physics ...
In conclusion we conjecture that the extension R_un of R is the natural home for the “values” of the many ~-dependent physical quantities arising in quantum field theory. This fits with the previous understanding of renormalization from the Riemann-Hilbert correspondence.
Bref, l'homme n'a pas fini de (re)penser les nombres !

Note personnelle : peut-être pourrait-on  appeler de tels nombres les hyperfinis (plutôt que un_finis ...)? En effet le 1 de R_un est lié à la construction de Witt en caractéristique 1 dont il est question dans l'article et n'a de sens à la lumière des recherches de Connes que dans une structure mathématique appelée hypercorps de Krasner semble-t-il (voir ce texte en anglais ou ce résumé en français).
Le terme hyperfini présente aussi l'intérêt d'être employé dans d'autres aspects connexes très importants de la géométrie non-commutative.
Il fait aussi ressortir la tension entre le caractère fini du résultat d'un calcul effectif de série formelle d'intégrales divergentes et son développement calculatoire extrêmement complexe. Rappelons pour finir que ce genre de calculs fut d'abord mené à bien par d'intrépides physiciens théoriciens et que les valeurs numériques approchées furent comparés scrupuleusement aux mesures de physiciens expérimentateurs courageux ... l'accord entre théorie et expérience étant le plus remarquable dans le cas de l'électrodynamique quantique justement !


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